L’Hôpital du Bourg

L’HOPITAL DU BOURG

Tous deux apparus au XIIème siècle, le premier : l’Hôtel Dieu ou Hostellerie Sainte Catherine avait pour vocation l’accueil des pauvres, des malades et des pèlerins ; le second : construit à l’entrée des faubourgs, la Maladrerie de la Madeleine, recevait les mendiants, les contagieux et les lépreux.

C’est à la fin du XVème siècle que l’on envisage la construction d’un nouvel établissement : l’hôpital Sainte-Catherine était devenu vétuste et trop petit pour accueillir tous les malades.

La “Haute Ville” est abandonnée, on s’installe dans le bourg-basse ville d’alors – d’où le nom d’“Hôpital du Bourg”. Pendant ces deux siècles d’existence, cet établissement connaîtra une histoire mouvementée que nous évoquerons à travers sa construction, son personnel, ses revenus(1).

 

Deux siècles d’histoire mouvementée à l’image de celle de la cité.

Siège de Boulogne par les Anglais en 1544 suite à l’alliance scellée entre Charles Quint et Henri VIII, et prise de la ville qui redeviendra française le 25 avril 1550 après la signature du traité de Capécure.

Guerre de religion dont les troubles commencèrent à Boulogne dès 1566, les ligueurs n’abandonnèrent le siège de la Ville Haute qu’en 1587-1588.

Puis en 1636, c’est la guerre de Trente ans qui ravage les environs de Boulogne. Les dévastations des troupes espagnoles dureront jusqu’en 1678 date à laquelle la ville connaîtra enfin une période de trêve qui lui permettra de se reconstruire et de devenir prospère. Outre ces guerres, la ville vivra au cours des XVIème et XVIIème siècles plusieurs épidémies de peste. Cette période de pillage, d’incendie, de destruction sera fatale pour les archives ce qui explique que peu de documents soient parvenus jusqu’à nous et que l’histoire de l’hôpital du Bourg demeure en grande partie inconnue.

La construction

Le seul élément que l’on connaisse avec certitude est l’emplacement de cet hôpital. Le terrain a été acheté par le Maïeur et les échevins au Sieur Guillaume Billy.

Situé en Basse ville, il longeait le vivier formé par le ruisseau des Tintelleries pour le service du moulin “d’Ascoute s’il pleut”, se prolongeait d’un côté vers le port et de l’autre jusqu’à l’entrée du Quartier des Tintelleries (entre la rue du Vivier et la place Navarin actuelle).

L’espace avait été rendu constructible du fait de la démolition après le siège anglais de 1492 des bâtiments, sans doute d’anciennes tanneries, On notait en outre sur ce terrain la présence d’une route, ancienne voie romaine traversant la basse ville (dans le prolongement de l’actuelle rue de l’ancien Rivage) et qui pour rejoindre l’ancien phare romain de la tour d’Ordre, devait traverser le ruisseau des Tintelleries.

On peut donc supposer qu’il existait à cet endroit dans la muraille de la basse ville une porte (peut-être la Porte de la Beurrière) et que c’est près de cette porte que les édiles décidèrent d’aménager les bâtiments destinés à accueillir les malades et les indigents.

Toujours est-il que l’espace disponible est suffisamment vaste pour permettre, outre l’édification des bâtiments, la construction d’une rue que l’on fit très large pour y installer la foire Madeleine (la rue Saint- Louis de nos jours).

Le reste est mal connu. On suppose que la fondation a été municipale et que l’édification a dû se faire soit vers la fin du XVème siècle soit au tout début du XVème.

Sur les bâtiments d’origine, aucun document précis n’existe. Cependant, la présence de quelques maisons, utilisées pour accueillir les pauvres et les malades pendant la construction de l’hôpital Saint-Louis, à ce même endroit, laisse à penser que la structure d’origine devait être identique à celle de la Maladrerie à savoir plusieurs maisonnettes regroupées autour d’une place centrale.

Toutefois, on sait, grâce à une délibération municipale du 22 septembre 1553, c’est à dire après le siège anglais de 1544 à 1550, que l’hôpital ne fut pas épargné par les boulets anglais et que sa construction ne fut pas terminée : “qu’il sera besongné à la closture et muraille de l’Ospital du Bourg que l’ennemi avait fort maltraitées… et est enjoint à Antoine Broustal, receveur dudit Bourg y fait besongner à digilence et selon les denyers de la recepte le pourrait porter…”, et d’autre part que l’Assemblée des Maïeurs et échevins, le 19 septembre 1608 “délibèrent et avisent en vue de faire construire et édifier une chapelle à l’hôpital de la Basse-Ville”. Celle-ci fut consacrée à Saint-Louis et bénie le 25 avril 1613 par l’évêque de Boulogne : Monseigneur Claude Dormy. Cette chapelle donnera son nom au futur hôpital.

La gestion de l’hôpital quant à elle avait été confiée en 1468 par le Maïeur à la Communauté des Sœurs grises de l’Ordre de Saint-François ou Franciscaine.

Ces sœurs, au nombre de quatre, reçurent de la ville annuellement 60 livres pour “leur gouvernance et leur entretènement”.

Lorsque l’hôpital Sainte-Catherine ne servit plus à l’accueil des pauvres et des malades qui furent dirigés sur le nouvel hôpital, deux Sœurs grises descendirent chaque jour y soigner les malades.

Jusqu’au début du XVIème, elles vaquèrent à leur besogne avec diligence et se distinguèrent pendant ces années d’épidémies et de guerre par leur dévouement et leur empressement à bien gérer l’hôpital du Bourg. Mais leur désir de se cloîtrer et de fonder une communauté allait entamer leur zèle. A plusieurs occasions, elles tentèrent de justifier leur droit sur les biens de l’hôpital, les considérant comme leurs, et se qualifièrent de “sœurs de la peste”.

La municipalité exerça de plein droit son rôle de propriétaire et plusieurs décisions montrèrent que l’administration et la régie directe de l’établissement lui appartenaient, telle cette décision du 22 septembre 1553 où les échevins “ordonnent de besongner à la closture et muraille de l’hôpital du Bourg…”, ou cette rente de 1300 livres qui fut constituée le 30 mai 1608 aux échevins pour l’entretien de l’hôpital ; de même c’est le Maïeur qui ordonne le 8 octobre 1610 d’établir un terrier (registre foncier) de l’hôpital et qui commit deux personnes pour le visiter de quinzaine en quinzaine… Les droits de la ville au nom des pauvres étaient indéniables.

L’échevinage n’abandonna pas non plus les droits des pauvres sur l’hôtel-Dieu de Sainte-Catherine. La municipalité procéda d’ailleurs à des mesures “répressives” sur les Sœurs puisqu’en 1591, elle diminua de moitié leur redevance annuelle qui passa à 30 livres pour chacune, ce qui fit dire aux administrateurs de l’hôpital Saint-Louis en 1699 : “qu’il était apparent que le zèle ait diminué pour le service des pauvres, qu’elles abandonnaient pour faire des gestes à la campagne et se mettre en état de commencer cette communauté…”.

Le personnel de l’hôpital du bourg

Jusqu’au XVème siècle, le titre de Médecin est donné à un des frères de l’Abbatiale de Saint Wulmer. L’art de la médecine était confié au clerc le plus instruit de la communauté qui possédait la “connaissance des simples et de leur pouvoir”.

Quant la commune reprit la gestion du service hospitalier, elle engagea un médecin laïc dépendant directement de son autorité. Outre ce service hospitalier, ce praticien avait pour mission de visiter les pauvres de la ville et de donner ses soins à ceux qu’il était possible de traiter à domicile, ce qui ménageait des places vacantes à de plus infortunés.

Le dernier médecin de l’hôpital du Bourg lut Etienne Blondel. Outre ce médecin, il pouvait être fait appel à un chirurgien qui était avant tout, le saigneur et barbier. Celui-ci ne devait pas intervenir très souvent car pour ses services, il ne pouvait prétendre à aucune rétribution. Toutefois, on peut noter que la ville de Boulogne eut la visite en 1545 du plus célèbre chirurgien de toute l’Espagne, Ambroise Paré.

Dans “l’histoire de Boulogne /Mer” de P. Bertrand, un chapitre lui est tout spécialement consacré et intitulé “Œuvres de Maître Ambroise Paré, vivant conseiller et premier chirurgien du Roi ; voyage de Boulogne en 1545” et l’auteur rapporte l’intervention qui rendit célèbre ce chirurgien à Boulogne qu’il décrivit en ces termes: “Monsieur le Duc de Guise, François de Lorraine, fut blessé devant Boulogne d’un coup de lance qui, au dessus de l’œil, dextre, déclinant vers le nez, entra et passa outre de l’autre, entre nuque et oreille, d’une si grande violence que le fer de lance avec portion de bois fut rompu et demeura dedans, en sorte qu’il put être tiré hors qu’avec grand’force, même avec des tenailles de maréchal. Toutefois, nonobstant cette grande violence, qui ne fut sans fracture de l’os, nerfs, veines et artères, fut guéry.

Mendict seigneur, par la grâce de Dieu, le dit seigneur allait toujours guerroyer à face découverte. Voilà la lance passa outre de l’autre part”.

Si l’histoire des chirurgiens de l’hôpital du Bourg est totalement inconnue, les chroniques de l’hôpital nous révèlent la querelle opposant la municipalité sur Sieur Claude Lataignan lors d’une épidémie de peste en 1558.

Saigneur des malades et infectés”, il cherche à déserter son poste. Menacé de punition corporelle, le Sieur Lataignan fit valoir que son traitement de 12 livres en temps “hors peste” et 24 livres en temps de “peste” était insuffisant vu les dangers qu’il courait en temps d’épidémie. On lui promit une augmentation de salaire mais un mois plus tard, on nota que plusieurs malades étaient morts “faulte de saignye”. Le Maïeur et les échevins durent alors choisir un nouveau “saigneur idoine”. Toutefois, de tels exemples étaient plutôt rares. Ainsi en 1596, lorsque la peste ravage de nouveau Boulogne, les “chirurgiens” de la ville firent preuve d’un grand dévouement et plusieurs d’entre eux trouvèrent la mort dans l’exercice de leurs fonctions.

 

Cette même année l’hôpital fut cité pour les services rendus aux pestiférés “c’était à l’Ospital du Bourg que la confrérie de la charité de Saint-Pierre portait sur une brouette les malades pestiférés…” jusqu’à 72 victimes par jour sont amenées à l’hôpital”. Les sœurs de l’hôpital se plaignaient de n’avoir pas assez de “saigneurs”.

En 1616, une nouvelle discorde éclate à l’occasion d’un legs laissé à l’hôpital. Les sœurs présentèrent une requête tendant à ce que les administrateurs et receveurs “fussent obligés de leur assurer annuellement la somme de 667 livres 14 sols sur les 967 livres 14 sols, montrant alors des revenus de l’hôpital”. Les sœurs accusèrent également le Maïeur et les échevins ”de consommer en folle dépense ce qui devait rester pour les religieuses”. L’administration municipale refusa formellement de donner droit à ces désidératas.

Après de nombreux procès à chaque fois perdus, elle en vinrent à solliciter l’appui de l’Evêque, Mgr le Bouthillier, se plaignant de la détresse de leur ordre, ne subsistant que d’aumône et de l’impossibilité de se cloîtrer à moins d’être assistées. Elles insistèrent pour que leur fut allouée une part des revenus de l’hôpital, part qu’elles estimaient “ne pouvoir être moindre de 600 livres par an outre les 6 polquins, 5 bulteaux, 3 provendières et demie de bled qu’on avait coutume de livrer tant pour leur nourriture que pour celle des pauvres“.

Elles ajoutèrent également qu’elles désiraient être déchargées du service hospitalier. L’influence épiscopale pesa d’un si grand poids dans la solution de cette affaire que deux jours après l’envoi de cette supplique des religieuses, une assemblée des Maïeurs et Echevins de Boulogne se tint le 2 septembre 1628 ; les sœurs obtinrent gain de cause sur tous les points. Les Sœurs ayant abandonné le service hospitalier, celui-ci fut assuré temporairement par des employés de la ville jusqu’à la construction de l’hôpital Saint-Louis où l’on fit appel à la Communauté des Filles de la Charité. Ainsi s’accomplit “l’acte de spoliation du bien des pauvres” dira un des administrateurs (2).

Les revenus

La gestion de cet hôpital est mal connue également. Il est probable que l’administration temporelle et spirituelle fut partagée pendant plusieurs années entre l’autorité communale et le clergé de Boulogne. Le Maïeur et les échevins, après leur séparation définitive avec les religieuses par l’acte du 2 septembre 1668 s’étaient décidés à se charger eux-mêmes de la gestion de l’hôpital ou de la confier à des hommes de leur choix.

Peu de documents existent sur le budget de l’hôpital dont la gestion incombait à l’administration municipale.

En janvier 1621, lors d’une visite de Louis XIII, les édiles obtinrent des crédits pour assurer des travaux d’assainissements dans la ville et pour apporter quelques améliorations au service de l’hôpital.

L’hôpital du Bourg commença à prendre un développement sensible vers 1646 sous la protection de l’Evêque François de Perrochel, mais en dehors des dons, les ressources administratives étaient fort modiques. Quelques terres ou propriétés, rentes et perception de droits féodaux en composaient le patrimoine.

La situation économique de Boulogne n’était d’ailleurs pas très florissante. N’ayant encore pu se relever des désastres causés par les guerres de religion, le port étant ensablé et les secours royaux n’étant pas soldés, c’est en fait toute la Cité qui devait en pâtir et la guerre de trente ans, n’allait pas épargner Boulogne.

Dans un compte-rendu de M. Henry Heurteur, échevin et dernier receveur de l’hôpital du Bourg, est faite la liste des différentes ressources de l’hôpital. En date du 20 juillet 1692, les revenus ne dépassèrent guère la somme de 5000 livres annuelles.

Les revenus étant trop insuffisants pour faire face au nombre croissant d’indigents et les bâtiments trop vétustes, l’administration résolut plutôt d’aviser aux moyens de doter Boulogne d’un établissement modèle en rapport avec les besoins du jour. C’est de cette décision qu’est née la “Chambre des Pauvres” le 26 novembre 1688 à laquelle succéda l’hôpital général de Saint-Louis.

 

(1) Cet article a été fait en très grande partie grâce à la thèse de doctorat en médecine de Messieurs Pierre Boubet et Réini Rouchaville intitulée : “L’hôpital Général Saint-Louis. Principal Centre Hospitalier de Boulogne-sur-Mer de ses origines à 1815”.

(2) Cette querelle est analysée en détail dans l’ouvrage E. Deseille –   l’année boulonnaise – – éphémérides historiques Boulogne 1 Volume 1885-1886.